jeudi 10 mai 2012

Maroc

 Hier j'ai commencé la journée en disant : "Ah ah, aujourd'hui je vais bien profiter parce que tout le monde bosse en France !". Mais plusieurs fois, je crois que j'aurais préféré être au bureau. Le soir en arrivant, on était tous vivant et entiers mais si à certains moments on m'avait proposé de me péter la jambe pour être sûr que ce soit le cas, j'aurais pas refusé.

Pour re-situer tout ça, on va dire que la journée a débuté par une mauvaise nuit : pas mal de vent, beaucoup de froid. J'avais enlevé mon fut' pour dormir et j'aurais pas dû. On a démarré vers 10h30 je pense, donc tard et on a commencé par faire un bout de chemin à flanc de falaise. Pas spécialement dangereux, mais il fallait quand même se méfier des bien-nommés "petits cailloux merdiques" qui ont vite fait de te mettre le cul par terre. Voire dans le ravin. Ou dans le précipice en fait, appelons un chat, un chat.

Exemple de chemin dit "aux petits cailloux merdiques".
Mais la matinée est restée soft. On n'était pas encore trop fatigués physiquement et on a continué dans une plaine pour rejoindre une gorge que l'on allait suivre l'aprem. La plus grosse alerte c'était l'alerte "je crève la dalle". On a mangé vers 14h30 près d'une cascade.

Oliv' teste sa borne inf dans la cascade.
Ensuite, après cette longue pause, ça s'est compliqué... On a suivi la gorge mais apparemment c'était la première fois de l'année qu'ils (Youssef et un autre guide) la faisaient et ça change pas mal pendant l'hiver. Il fallait repérer les passages praticables et sécurisés pour avancer et je crois qu'on n'avait pas toujours la même échelle sur ce dernier point.

Le pire moment ça a été celui où ils ont décidés de nous faire un passage "escalade" à flanc de paroi à 2m au dessus de l'eau. Je me suis direct dit que je passerais pas par là et j'ai commencé à chercher un autre accès. J'ai trouvé un rocher sur lequel on pouvait glisser sur 1m environ pour ensuite prendre un appui dans l'élan et sauter au sol. J'étais pas hyper sûr de mon coup mais ce que je me disais c'est qu'en me loupant je risquais au plus la jambe cassée... Et pas le fauteuil, comme pour l'autre passage. Pendant que j'étais en haut de mon rocher en train de réfléchir à ma descente, Youssef avait "lancé" Sophie sur la paroi... J'ai vu (au sens "imaginé") très nettement le moment où elle partait en arrière dans le vide et ça m'a bien secoué. Heureusement ils étaient chacun d'un côté de la paroi et l'ont tenu par les bras pour la faire passer. Ça a été la même galère pour Mathilde. J'ai eu peur aussi et je pense qu'Oliv' en menait pas large non plus... J'ai fini par descendre par mon rocher, puis on aidé Pat' à passer par le même endroit et Oliv' a suivi... Je comprends toujours pas pourquoi ils ne nous ont pas fait tous passer par là.

A ce moment là, j'avais déjà un peu encaissé nerveusement parlant, mais je pensais qu'on avait fait le plus dur. Je me disais que la sortie de la gorge était plus très loin et qu'en suivant la rivière ça allait bien se passer. Mais pas du tout : à cause de cascades à venir, il a fallu grimper de nouveau sur le flanc de la montagne. On a continué sur des passages casse-gueule en bordure de précipice et la fatigue se faisait maintenant sentir dans la tête et dans les jambes. Et c'est là qu'en passant au-dessus d'une bosse on a aperçu, au loin, le "pont". Sur le flanc d'une paroi, à plus de 100m au dessus du sol, un amas de cailloux répartis sur des branches. Ça devait faire une centaine de mètres de long. D'ici, aucune idée de la largeur et surtout aucune idée de comment on allait continuer d'avancer sur la paroi après le pont...
"Youssef, c'est là-bas qu'on va ?"
"Oui oui."
Avant le pont, on faisait déjà pas trop les fiers.Vous l'aurez reconnu...
A partir de là, je me souviens plus trop de ce qu'on a dit, ni du trajet jusqu'à la paroi. Je me rappelle juste que j'avais peur comme ça ne m'était jamais arrivé, que j'avais mal aux intestins et des nausées. J'ai bien cru vomir deux ou trois fois. Je me souviens ensuite être à quatre pattes sur le pont, en train de regarder la paroi et de raconter des conneries probablement pas très cohérentes. Lorsqu'on a eu rejoint la "terre ferme", on a fait une pause. C'est là que les nerfs de Pat' ont lâché. Moi j'en étais à deux doigts.
Youssef semblait un peu étonné : "Mais vous m'aviez dit que vous n'aviez pas le vertige !"... Je crois que ce mot est mal traduit en arabe... Finalement après coup je me dis que le pont était relativement large (1m50) mais la vision que l'on en avait eu quelques centaines de mètres avant nous avait trop marqué pour qu'on passe sereinement. D'ailleurs j'ai le souvenir d'être passé à 4 pattes mais sur les photos on était tous debout. Je dois confondre avec le passage immédiatement après.

A ce moment là j'étais pas encore rassuré : il restait pas mal de chemin à parcourir sur cette paroi et j'imaginais déjà la tronche des chemins à venir...
Quelques mètres plus loin, on s'est retrouvé face à ce qui a probablement été le plus gros danger de la journée : un nouveau passage au dessus du vide, à franchir en se tenant à un câble, plaqué contre la roche, sur une corniche de 5cm de large. Je pense qu'il y avait 40-50m à faire comme ça.
Là je crois que j'avais des vraies raisons de flipper : il suffisait de déraper à un moment pour finir dans le vide. Sophie était devant moi et il fallait que je fasse des pauses à chaque point d'attache du câble pour attendre qu'elle soit passée : dès que je m'arrêtais, je sentais les bras qui s'ankylosaient et je commençais à paniquer. Au moment le plus dangereux, celui où il fallait franchir une avancée de la paroi, plus de câble. Je sais pas comment on a réussi à tous passer là. Même Oliv' n'a pas pris de photos, peut-être trop concentré ou bien pour éviter d'avoir une chute en images... Je me rappelle très nettement m'être dit : "Si je tombe dans le vide, je crie 'Youssef enculé !'"
La suite n'est plus qu'une course pour rentrer avant la nuit (on est arrivés à 21h) avec cumul de passages plus ou moins dangereux, glissants, mais on était dans un tel état que l'on ne se rendait plus compte de grand chose. Oliv' a fini en courant quand Pat' lui a donné l'idée...


Je ne sais pas trop ce qu'on peut tirer de cette journée et je ne sais pas si je suis content de l'avoir faite. Avoir eu cette vision du parcours à distance a fait beaucoup de mal : sans ça, je dis pas que j'aurais fait le fanfaron mais j'aurais été beaucoup plus calme. Le pire c'est que tout du long, la panique engendrait la panique. Je me disais : "Ça sert vraiment à rien de paniquer. Plus tu paniques, moins tu contrôles tes gestes et tes réactions et plus c'est dangereux..." Je me demandais même si j'allais pas avoir une sorte de spasme incontrôlé qui me ferait basculer, c'est pour dire à quel point j'étais atteint.
Bon, j'ai quand même appris un truc ce jour là, c'est que raconter des conneries c'est pas juste une façade chez moi... Le 'Youssef enculé', ça nous faisait bien rire après, mais moi je le pensais le plus sérieusement du monde au-dessus du vide. Je sais pas si c'est une bonne nouvelle... En tout cas, faudra pas que je m'étonne si avant de mourir à la place de voir défiler ma vie, je vois des patates avec des bras ou mes cours de SI de prépa...

Couscourochrome, le couscous des héros !

 Arrivé au gîte, on a eu droit à un monstrueux couscous qu'on n'a pas réussi à finir. On a particulièrement apprécié les douches ce soir là. On a longuement débriefé notre journée puis on a joué au tarot jusqu'à une heure du mat... Malgré la fatigue, on devait avoir besoin de décompresser. Ça a fini sur une magnifique garde contre d'Oliv' (qui m'a appelé) faite de 44 points et avec le chien le plus pourri de l'histoire du tarot : 3 as. Alors qu'il a systématiquement des bons chiens quand il prend...




Le lendemain (ah oui j'ai mis plusieurs jours à finir cet article donc je ne dis pas "aujourd'hui" comme le laisserait penser le début du post), on a fait une petite marche de décrassage : un peu moins de 3h. Sophie ne nous a pas suivi car mal aux jambes.
On est rentré pour manger et on a passé l'aprem à se reposer entre sieste/lecture/jeux/refaire le monde.
Le soir, au repas, on a vu arriver de la "pizza berbère" (du pain avec 3 légumes dessus) et de la soupe. On a tout fini et on commençait à se dire que c'était un peu light quand une deuxième fournée de pizza est arrivée. On était soulagé et on s'est jeté dessus. Puis est apparue une assiette de 2kg (sans déconner !) de pâtes. Puis des frites. Puis des brochettes. Et enfin des bananes pour le dessert...
A ce moment là, on avait presque tous plus faim.
Comme on voulait pas vexer nos amis berbères (ils avaient encore le temps d'essayer de nous tuer dans une rando), on a voulu tout finir. On n'a pas réussi à venir à bout des pâtes. Moi j'ai découvert que l'on peut manger plus lorsqu'on se redresse : ça doit faire plus de place dans les tubes digestifs. Par contre après, je vous raconte pas ce qu'il se passe lorsqu'on perd la position : j'ai bien cru que j'allais mourir d'avoir trop mangé... Sans déconner, sur ce repas y'avait de quoi rassasier 10 personnes.

"Je vais mourir..."

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